Transferts & Compétences Conflit de loyauté de nos élus MRE à l’étranger

Conflit de loyauté de nos élus MRE à l’étranger

Photo conception mH-2025

Une question qui soulève un paradoxe fondamental entre le devoir de loyauté exigé par le Maroc et la neutralité apparente des institutions marocaines à l’étranger face à des associations jouant double jeu et des élus d’origine marocaine soutenant le Polisario.

Le phénomène des Marocains Résidant à l’Étranger (MRE) occupant des postes électifs dans leurs pays d’accueil est une source de fierté pour le Maroc, témoignant de leur intégration et de leur succès. Cependant, cette réalité soulève parfois des questions épineuses, notamment lorsque certains de ces élus, d’origine marocaine, adoptent des positions critiques ou même hostiles aux intérêts du Maroc, en particulier sur la question du Sahara occidental marocaine. Ce dilemme met en lumière un conflit de loyauté perçu, confrontant l’attachement intrinsèque à la patrie d’origine et les obligations de neutralité ou de service envers le pays de résidence. Le paradoxe réside dans l’attente d’une loyauté inconditionnelle de la part du Maroc, contrastant avec la perception d’une certaine passivité, voire d’une absence de réaction claire, de la part des institutions marocaines à l’étranger face à ces situations.

Le discours royal du 6 novembre 2014, prononcé à l’occasion du 39ème anniversaire de la Marche Verte, représente un jalon fondamental dans la doctrine marocaine concernant le Sahara occidental. Sa Majesté le Roi Mohammed VI a alors énoncé une position d’une clarté inégalée : « Ou on est patriote ou on est traître. Il n’y a pas de juste milieu entre le patriotisme et la trahison ».

Cette déclaration, loin d’être une simple rhétorique, est un ultimatum patriotique qui ancre fermement la question du Sahara dans le cœur de l’identité nationale marocaine. Elle ne laisse aucune place à l’ambiguïté pour les citoyens marocains, où qu’ils se trouvent. Le discours de 2014 n’est pas un événement isolé ; il s’inscrit dans une longue tradition historique de défense de l’intégrité territoriale du Royaume. Depuis la Marche Verte de 1975, qui a symbolisé l’engagement populaire et irréversible du Maroc pour la récupération de ses provinces du Sud, la question saharienne est devenue la “cause nationale” par excellence. Chaque Marocain, de par son lien de citoyenneté, est censé adhérer à cette vision et la défendre.

Le caractère absolu de ce principe de loyauté s’explique par la nature existentielle de la question du Sahara pour le Maroc. Il ne s’agit pas d’une simple dispute territoriale, mais d’une composante essentielle de la souveraineté et de l’unité nationale. Toute position qui ne serait pas alignée sur la reconnaissance de la marocanité du Sahara est donc interprétée comme une atteinte directe à cette intégrité, et par extension, comme un acte de déloyauté. Pour les MRE, cette injonction prend une dimension particulière. En tant que citoyens marocains, ils sont tenus, où qu’ils résident, de soutenir la position officielle de leur pays d’origine sur cette question vitale. Ce soutien est perçu non seulement comme un devoir moral, mais aussi comme une expression de leur attachement indéfectible à la patrie.

Cependant, c’est précisément ici que le conflit potentiel de loyauté commence à se dessiner. Pour un MRE devenu élu dans un pays étranger, la réalité est plus nuancée. En tant que représentant de ses concitoyens dans son pays d’accueil, il est tenu à une certaine neutralité et à l’exercice de ses fonctions conformément aux lois et aux intérêts du pays qui l’a élu. Or, les positions diplomatiques des pays étrangers sur la question du Sahara occidental peuvent varier, et parfois même être en contradiction avec celle du Maroc. Un élu MRE se retrouve alors pris entre le marteau et l’enclume : d’un côté, le devoir de loyauté envers sa patrie d’origine, symbolisé par le discours royal et l’attachement à l’intégrité territoriale ; de l’autre, son rôle d’élu qui peut l’amener à devoir s’abstenir de prendre position ou même, dans certains cas extrêmes, à soutenir des initiatives qui vont à l’encontre des intérêts marocains, notamment en soutenant le Polisario.

La question du Sahara occidental marocaine, et par extension le mouvement Polisario, représente un point de friction majeur dans le dilemme de loyauté des élus MRE. Le Polisario, ou Front populaire pour la libération de la Saguia el Hamra et du Rio de Oro, est un mouvement indépendantiste qui revendique l’autodétermination du Sahara occidental. Pour le Maroc, le Polisario est un mouvement séparatiste soutenu par l’Algérie, cherchant à déstabiliser le Royaume et à porter atteinte à son intégrité territoriale. Sa reconnaissance par certains États ou organisations internationales, bien que limitée, représente une menace constante pour la diplomatie marocaine.

Lorsqu’un élu d’origine marocaine, dans le cadre de ses fonctions ou de ses prises de position publiques, exprime un soutien au Polisario (notamment se faire prendre en photo avec un membre responsable du Polisario), cela est perçu au Maroc, ou chez les MRE concitoyens de l’élu, comme une trahison flagrante de la patrie. Ce soutien peut prendre diverses formes : participation à des conférences ou des événements organisés par le Polisario, vote de résolutions locales ou régionales favorables à ses thèses, prises de parole publiques critiquant la position marocaine, ou même simplement une adhésion tacite à des initiatives visant à mettre en question la souveraineté marocaine sur le Sahara.

Pour les autorités marocaines et une grande partie de la population, un tel comportement est inacceptable. Il contrevient directement au principe de loyauté absolue énoncé par le Roi Mohammed VI. La réaction populaire est souvent forte, marquée par le rejet de l’élu, l’indignation et le sentiment d’une trahison. Les médias marocains, les associations de MRE loyalistes et les citoyens expriment régulièrement leur désapprobation face à de telles prises de position, appelant à une clarification de la part des institutions marocaines.

Le dilemme est d’autant plus aigu que ces élus sont souvent perçus comme une partie des ambassadeurs informels de leur pays d’origine, comme pour d’autres personnalités de la société civile marocaine des pays d’accueil. Leur « succès » dans les sphères politiques étrangères est une fierté nationale, et leur influence pourrait potentiellement être utilisée au service des intérêts marocains. Or, lorsqu’ils s’alignent sur des positions antagonistes, cela crée non seulement une dissonance, mais aussi une profonde déception et un sentiment de désaveu.

La situation se complique par la complexité du statut juridique de ces élus. En tant que citoyens du pays où ils sont élus, ils sont soumis aux lois et aux usages politiques de ce pays. La liberté d’expression, la liberté d’opinion, et le devoir de représenter les intérêts de leurs électeurs, peuvent être invoqués pour justifier leurs prises de position. Il est rare qu’un pays exige de ses élus une allégeance exclusive à un autre État, même si cet élu possède la double nationalité. C’est dans cette zone grise que le conflit de loyauté se manifeste avec le plus d’acuité. Le Maroc exige une loyauté qui est comprise comme une défense de son intégrité territoriale, tandis que l’élu peut argumenter qu’il agit dans le cadre de ses fonctions électives et de la liberté d’expression propre à son pays d’accueil, sans pour autant renoncer à son identité marocaine.

Face à ce conflit de loyauté, la neutralité apparente des institutions marocaines à l’étranger – consulats, ambassades, et autres représentations officielles – soulève un paradoxe épineux et souvent incompris par une partie de l’opinion publique marocaine. Lorsque des élus d’origine marocaine soutiennent ouvertement le Polisario ou adoptent, indirectement, des positions hostiles aux intérêts du Royaume, l’attente est souvent celle d’une réaction ferme et visible de la part des autorités marocaines. Or, cette réaction est souvent perçue comme timide, voire inexistante, voir même complaisante, ce qui nourrit un sentiment de frustration et d’incompréhension.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette position délicate des institutions marocaines. Premièrement, le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des pays d’accueil est un pilier de la diplomatie internationale. Intervenir directement et publiquement pour critiquer ou sanctionner un élu étranger, même s’il est d’origine marocaine, pourrait être interprété comme une violation de la souveraineté du pays hôte et potentiellement nuire aux relations bilatérales. Les diplomaties fonctionnent souvent sur la base de la discrétion et des canaux officieux, préférant les discussions en coulisses aux affrontements publics.

Deuxièmement, la question de la double nationalité complexifie la situation. Un élu MRE, s’il a acquis la nationalité de son pays d’accueil et est élu en son nom, est avant tout un citoyen et un représentant de ce pays. Ses actes et ses prises de position relèvent de la juridiction de ce pays. Les institutions marocaines ne peuvent pas le priver de son mandat électif ni le soumettre à des sanctions juridiques directes sans risquer un incident diplomatique majeur. Une pression excessive pourrait également être contre-productive, renforçant le sentiment de victimisation chez l’élu concerné et potentiellement créant un mouvement de sympathie autour de lui.

Troisièmement, la stratégie diplomatique marocaine sur le Sahara occidental est axée sur la proposition d’autonomie sous souveraineté marocaine, et sur la promotion d’une solution politique réaliste et durable. Une confrontation ouverte avec des élus étrangers, même d’origine marocaine, pourrait détourner l’attention de l’objectif principal et potentiellement créer des divisions au sein des diasporas. La diplomatie marocaine cherche souvent à maintenir des ponts, même avec ceux qui ne partagent pas entièrement sa vision, dans l’espoir de faire évoluer les positions à terme.

Cependant, cette prudence diplomatique est souvent perçue comme une faiblesse ou une indifférence par ceux qui appellent à une plus grande fermeté. Le contraste entre le discours royal appelant à une loyauté inconditionnelle et l’apparente inaction des institutions crée une dissonance. Les citoyens, en particulier les MRE attachés à leur pays, s’interrogent sur la capacité du Maroc à défendre ses intérêts et à faire respecter le principe de loyauté. Ils s’attendent à ce que les représentations marocaines jouent un rôle plus actif dans la sensibilisation des élus d’origine marocaine, dans le dialogue avec eux, et, si nécessaire, dans la dénonciation de leurs positions lorsqu’elles sont manifestement contraires aux intérêts nationaux.

La question n’est donc pas tant une absence totale d’action, mais plutôt la nature de cette action. Les institutions marocaines pourraient privilégier des approches plus discrètes, telles que le dialogue avec les élus, la sensibilisation aux enjeux de la cause nationale, la promotion d’une meilleure compréhension de la position marocaine sur le Sahara, ou encore le soutien à des initiatives de la société civile marocaine à l’étranger qui œuvrent pour la défense de l’intégrité territoriale. La difficulté réside dans la nécessité de trouver un équilibre entre le respect de la souveraineté des pays d’accueil et la défense légitime des intérêts fondamentaux du Maroc, tout en répondant aux attentes de loyauté de ses citoyens.

Pour le Maroc, la gestion de ce conflit de loyauté des élus MRE représente un défi diplomatique et stratégique majeur. Il ne s’agit pas de renoncer au principe de loyauté, essentiel pour la cohésion nationale autour de la question du Sahara, mais plutôt de trouver des mécanismes pour le faire coexister avec la réalité politique et juridique des pays d’accueil.

Une première voie serait le renforcement du dialogue et de la communication avec les élus MRE. Les consulats et ambassades pourraient multiplier les rencontres, les ateliers de sensibilisation et les échanges avec ces élus, qu’ils soient d’origine marocaine ou non. L’objectif ne serait pas de les contraindre, mais de leur fournir des informations claires et objectives sur la position marocaine, sur les progrès réalisés dans les provinces du Sud, et sur les enjeux géopolitiques de la question du Sahara. Comprendre la complexité de la situation peut parfois conduire à des positions plus nuancées, même si cela ne garantit pas un alignement total. Il s’agit de privilégier la pédagogie et le renforcement des liens culturels et identitaires.

Deuxièmement, il est crucial de soutenir et de valoriser les MRE qui défendent activement les intérêts du Maroc. En mettant en lumière les parcours de ceux qui s’engagent positivement pour la cause nationale, le Maroc pourrait créer des modèles et encourager d’autres MRE à suivre cette voie. Cela passe par une reconnaissance publique de leur engagement, par des invitations à des événements officiels au Maroc, ou par leur implication dans des initiatives de diplomatie parallèle. Cette stratégie positive peut être plus efficace que la seule stigmatisation.

Troisièmement, le Maroc pourrait envisager de renforcer ses réseaux d’influence et de lobbying dans les pays d’accueil. Cela implique de travailler plus étroitement avec les associations de MRE, les think tanks, les universitaires et les médias pour diffuser une image positive du Maroc et de sa position sur le Sahara. L’objectif est de créer un environnement où les thèses marocaines sont mieux comprises et défendues, rendant plus difficile pour des élus de s’aligner sur des positions hostiles sans risquer une perte de crédibilité.

Quatrièmement, une clarification de la posture marocaine face aux cas de déloyauté flagrante pourrait être envisagée, sans tomber dans l’ingérence. Il ne s’agit pas de retirer la nationalité ou de les ostraciser, mais peut-être d’exprimer publiquement une désapprobation diplomatique ciblée, ou de cesser toute forme de coopération institutionnelle avec les élus qui franchissent des lignes rouges claires, surtout s’ils reçoivent des financements ou un soutien direct ou indirect des pouvoirs soutenant le Polisario. Cette approche devrait être mesurée et appliquée au cas par cas, en tenant compte des spécificités du pays d’accueil et de l’impact potentiel sur les relations bilatérales.

Enfin, il est essentiel que le Maroc continue de renforcer sa position sur le terrain et sur la scène internationale. Les développements positifs dans les provinces du Sud (investissements, infrastructures, développement humain) et la reconnaissance croissante de la marocanité du Sahara par de plus en plus de pays constituent la meilleure des réponses aux actions de ceux qui contestent la souveraineté marocaine. Une diplomatie (et diplomatie parallèle) actives et une politique sociale intérieure solide sont les fondations sur lesquelles repose la défense de l’intégrité territoriale, et elles peuvent à terme atténuer les tensions liées au conflit de loyauté des élus MRE.

En somme, le conflit de loyauté des élus MRE est un défi complexe qui requiert une approche nuancée et multidimensionnelle. Il s’agit de concilier le principe sacro-saint de la loyauté à la patrie avec les réalités de la vie politique et diplomatique internationale, en privilégiant le dialogue, la valorisation des engagements positifs, le renforcement de l’influence et, le cas échéant, une réaction proportionnée face aux atteintes flagrantes aux intérêts nationaux.

Fait à Argenteuil, le 02/06/2025

Mohammed HASHAS

Acteur associatif

Ass. Transferts & Compétences